KANBrief L'Europe en ligne de mire
L’Agence européenne pour la sécurité et la santé au travail (EU-OSHA) peut se targuer d’un parcours réussi depuis plus de 28 ans. Le monde du travail étant toutefois en constante évolution, il est donc important que l’Agence soit, elle aussi, capable de relever des défis sans cesse nouveaux. Nous avons interrogé William Cockburn, directeur exécutif de l’Agence depuis 2023, sur les actuels objectifs et priorités de son travail.
Quels sont vos objectifs pour l’EU-OSHA pour ces prochaines années ?
Nous venons de commencer à travailler sur une nouvelle stratégie pluriannuelle dans le cadre de laquelle notre conseil de direction, nos points focaux nationaux et notre personnel définiront notre cap pour les dix prochaines années. Depuis la pandémie du COVID-19, la visibilité de la SST et de l’Agence s’est considérablement accrue. Cela nous ouvre des possibilités d’intensifier notre impact, même s’il est peu probable que nous obtenions des ressources supplémentaires pour y parvenir. C’est pourquoi nous devons faire preuve d’encore plus d’efficacité dans nos trois principales missions : mettre à disposition des connaissances pour l’élaboration des politiques et la recherche, apporter notre soutien pour la conception de lieux de travail sûrs, par le biais de guides et d’outils pratiques, et promouvoir une culture positive de la prévention, par la sensibilisation et la mise en réseau.
Le fait que nous disposions, avec les points focaux, d’un réseau d’autorités nationales, qui fait lui-même appel à des réseaux nationaux et à des partenaires sociaux, constitue un atout majeur de l’Agence, unique parmi les agences de l’UE. Renforcer le réseau et ses points focaux constitue donc une priorité absolue. Nous devons travailler le plus étroitement possible avec les autorités nationales et les partenaires sociaux des États membres de l’UE, pour qu’ils soutiennent notre recherche, diffusent nos guides et nos outils pratiques, et nous aident à sensibiliser le public à l’importance de lieux de travail sûrs et sains.
Quels sont les chances et les défis du numérique pour la SST ?
L’utilisation de technologies numériques offre différentes possibilités d’améliorer la sécurité sur le lieu de travail, en confiant par exemple à des machines des activités répétitives, pénibles et potentiellement peu sûres, en remplaçant le personnel dans des environnements dangereux, en améliorant l’accès au marché du travail pour les personnes défavorisées, ou encore en permettant de mieux concilier vie professionnelle et vie privée grâce à la possibilité pour les employés de travailler de manière flexible depuis chez eux. Les systèmes numériques intelligents peuvent en outre aider à prévenir les dangers, par exemple par une surveillance élargie des expositions. Il ressort de notre enquête « OSH Pulse 2022 » que des technologies numériques sont déjà utilisées pour surveiller les niveaux de bruit, de produits chimiques, de poussière et de gaz dans l’environnement de travail de 19 % des travailleurs européens.
Même si les technologies numériques sont rarement problématiques en soi, des déficits au niveau de leur conception, de leur mise en œuvre ou de leur utilisation peuvent entraîner des risques pour la sécurité et la santé au travail. Pour éviter ces problèmes, il faut prendre en compte le travailleur de manière adéquate et veiller à sa participation à chacune de ces trois phases. Du point de vue des travailleurs, le numérique a malheureusement souvent des effets négatifs pour ce qui est de la SST, notamment une intensification du travail et une perte d’autonomie. L’étendue des tâches à accomplir diminue, les collaborateurs expérimentés sont remplacés par du personnel moins qualifié, l’isolement augmente et le travail est de plus en plus dicté par des décisions automatisées.
Dans l’enquête « OSH Pulse 2022 », les travailleurs ont déclaré que, du fait des technologies numériques, ils travaillaient de plus en plus seuls (44 %), ils étaient davantage surveillés (37 %), leur autonomie était réduite (19 %), ils subissaient un rythme de travail imposé (52 %) et leur charge de travail avait augmenté (33 %). Il est donc essentiel que nous mettions pleinement à profit les grandes chances qu’offre le numérique pour un travail plus sûr, plus sain et de meilleure qualité et, en même temps, pour prévenir les risques qu’il peut présenter. Tel est d’ailleurs le message central de notre campagne qui s’étend sur deux ans, intitulée « La sécurité et la santé au travail à l’ère numérique ».
Que faut-il faire pour que l’économie circulaire devienne également une réussite dans le domaine de la SST ?
Selon la manière dont elle mise en œuvre et gérée, l’économie circulaire peut entraîner de nouveaux risques ou bien alors présenter une grande opportunité pour un changement équitable et durable, qui améliore la SST, tout en protégeant l’environnement. Mais il faut pour cela (re)qualifier les salariés – y compris les cadres – pour leur permettre de travailler en toute sécurité avec les nouveaux processus circulaires.
Des mesures réglementaires sérieuses, telles que l’élaboration d’un système de surveillance à l’échelle de l’UE, sont en outre nécessaires pour assurer le suivi les substances contenues dans les produits, de manière à pouvoir entretenir, réutiliser ou recycler ces produits en toute sécurité. Il faut également empêcher que soient importés des produits susceptibles de mettre les travailleurs en danger lors de ces activités.
Le principe qui consiste à « réparer, réutiliser et recycler » ne peut être mis en pratique en toute sécurité que si les salariés ont accès à tout moment à toutes les informations dont ils ont besoin. Un système numérique capable d’alerter les travailleurs de risques potentiels contribuerait de manière significative à améliorer la SST dans les processus de travail dangereux de l’économie circulaire.
Les technologies numériques jouent effectivement un rôle clé dans la transition vers l’économie circulaire. Elles permettent non seulement de mettre en place des systèmes numériques de surveillance, de contrôle et d’alerte, mais contribuent aussi à améliorer les conditions de travail en permettant par exemple d’automatiser et de surveiller à distance les opérations dangereuses lors du tri des déchets et du recyclage.
L’état d’avancement d’une économie circulaire qui soit en même temps favorable à la SST diffère d’un secteur économique et d’un État de l’EU à l’autre. Pour que la transition s’effectue partout de la même manière, tous les secteurs économiques et tous les États membres, en particulier ceux qui disposent de peu de ressources, doivent bénéficier d’un soutien suffisant. Ici aussi, l’EU-OSHA a un rôle important à jouer.