KANBrief L'Europe en ligne de mire
Il y a bien longtemps que la normalisation n’est plus une affaire purement nationale, mais qu’elle doit faire l’objet d’une concertation internationale aussi large que possible. L’élaboration parallèle de normes à l’échelle internationale et européenne est soumise à des règles spécifiques.
Il y a de nombreuses années, deux accords ont été conclus dans le but de promouvoir la coopération entre les organismes de normalisation internationaux et européens. L’Accord de Vienne régit la coopération entre l’ISO et le CEN. Pour la normalisation électrotechnique, la CEI et le CENELEC ont actualisé en dernier lieu les bases de leur coopération par l’Accord de Francfort.
L’Accord de Vienne de l’ISO et du CEN
L’accord de coopération technique entre l’ISO et le CEN a été conclu en 1991, puis de nouveau actualisé en 2001. L’accord ouvre la voie à plusieurs possibilités de coopération entre les comités techniques (TC) de l’ISO et du CEN opérant dans le même domaine technique. Ces coopérations peuvent être conclues par les comités compétents eux-mêmes et varier dans leur degré d’approfondissement. Le premier niveau de coopération prévoit uniquement un échange réciproque d’informations. Le deuxième niveau comprend la représentation mutuelle au sein de l’autre comité. Dans la forme la plus étendue de coopération, les comités élaborent leurs normes ensemble et les adoptent parallèlement. Il est également possible qu’aucune coopération ne voie le jour.
Dès que la proposition d’une nouvelle norme est faite dans l’un ou l’autre comité, les deux TC peuvent opter pour son élaboration commune. La direction des opérations est, dans ce cas, confiée à l’un des TC, au sein duquel se tiennent les réunions de travail et selon les règles duquel se déroule le processus de normalisation. C’est généralement au TC de l’ISO qu’est confiée cette responsabilité. L’autre comité peut déléguer jusqu’à quatre observateurs, qui peuvent alors faire valoir les commentaires dudit comité durant la phase d’élaboration.
L’élément clé de l’Accord de Vienne est le vote parallèle, système en vertu duquel l’enquête publique et le vote final concernant tout projet de norme s’effectuent parallèlement, à l’ISO et au CEN. S’il en ressort un résultat positif dans les deux organisations, une publication identique peut avoir lieu, sous forme de norme ISO et de norme européenne. Si l’une des deux organisations n’obtient pas l’accord nécessaire, des consultations sont lancées entre l’ISO et le CEN afin de réfléchir s’il y a lieu de poursuivre l’élaboration commune de la norme. Une autre option envisageable est encore que la norme soit publiée par une seule organisation, auquel cas il n’y aura pas d’autre norme identique. Si le vote s’avère négatif dans les deux organisations, le projet est renvoyé au comité compétent.
L’Accord de Francfort de la CEI et du CENELEC
Les organismes de normalisation CEI et CENELEC se sont dotés d’un accord de coopération similaire, à savoir l’Accord de Francfort. Amorcée en 1991 avec l’Accord de Lugano, cette coopération a été révisé en 1996 par l’Accord de Dresde, puis en 2016 par la conclusion de l’Accord de Francfort, encore en vigueur aujourd’hui. L’Accord de Francfort précise que, dans le domaine de l’électrotechnique, la priorité est donnée à la normalisation internationale. Diverses mesures permettent d’appliquer cette règle.
Lorsqu’un besoin de normalisation est identifié au niveau européen, il est d’abord déterminé si la norme peut être élaborée au niveau international par la CEI. Dans la mesure où ce besoin ne se limite pas au niveau européen, on peut ainsi s’assurer que c’est directement une norme internationale qui sera élaborée.
Les votes parallèles sont la règle dans les relations entre la CEI et le CENELEC, sans qu’un accord spécifique soit nécessaire entre les TC. Dès qu’un projet est soumis à l’enquête publique par la CEI, l’enquête européenne est donc généralement lancée en même temps par le CENELEC. Il en va de même pour le vote final. Les seules exceptions à cette règle se présentent quand le Bureau Technique (BT) du CENELEC estime qu’il n’y a aucun besoin au niveau européen, ou bien dans le cas de projets de modifications de normes CEI qui n’ont pas été encore adoptées au niveau européen. Si une norme a été élaborée de manière autonome par le CENELEC, par exemple quand il n’existe pas de comité adéquat au sein de la CEI, elle est soumise à la CEI en vue d’une transposition éventuelle dans une norme internationale. Un vote parallèle peut également être lancé à cet effet.
L’impact au niveau national
Lors des votes à l’ISO, à la CEI, au CEN et au CENELEC, les membres donnent leur voix nationale. Pour l’adoption des projets lors de l’enquête et du vote final, les conditions à remplir en termes de majorité diffèrent d’une organisation à l’autre. Si les normes sont adoptées uniquement au niveau international, les membres sont libres de les publier également au niveau national (en Allemagne, par exemple, sous forme de norme DIN ISO). Si en revanche les normes sont adoptées au niveau européen, les organisations membres du CEN et du CENELEC sont tenues de les transposer à l’identique au niveau national (et donc par exemple sous forme de DIN EN ISO), et doivent retirer toute norme nationale qui leur serait contraire. C’est ce mécanisme qui rend l’accord de Vienne et l’accord de Francfort si importants également pour le travail de normalisation national.
Perspectives
Alors qu’autrefois le travail de normalisation international était fortement marqué par le poids des nations industrialisées du monde occidental, on observe, depuis quelque temps, l’arrivée en force de nouveaux acteurs puissants dans le monde de la normalisation. La Chine, en particulier, a pris conscience de l’importance des normes industrielles, de services et de management, et occupe de plus en plus de postes clés (présidence et secrétariat) au sein des instances internationales. Cette tendance se trouve favorisée par l’initiative de la « Nouvelle route de la soie » (Belt and Road Initiative), au titre de laquelle de puissantes interdépendances économiques sont mises en place avec des pays émergents et en développement, et ce au niveau planétaire. Même si la participation d’experts européens dans la normalisation reste très élevée, elle est de plus en plus mise à l’épreuve en raison du temps et des coûts importants qu’elle implique.
On observe néanmoins, au moins à l’ISO, une tendance à l’élaboration d’un nombre sans cesse croissant de normes. Il existe actuellement plus de 25.000 normes ISO, alors qu’on en dénombrait encore 21.000 début 2017. Mais on constate aussi que la normalisation et ses domaines d’application sont perçus différemment d’un pays à l’autre, certains d’entre eux considérant en effet les normes comme étant une possibilité d’instaurer un catalogue de règles dans des domaines où ils n’ont jusqu’alors aucune loi ou réglementation. Si l’on veut éviter que des normes présentant un niveau de contrainte relativement bas ne sapent l’ensemble des réglementations en vigueur en Europe, il est nécessaire d’examiner minutieusement quels projets de normes internationales se prêtent à une transposition européenne ou nationale.
Freeric Meier
meier@kan.de
Katharina Schulte
schulte@kan.de