KANBrief L'Europe en ligne de mire

La normalisation face à de nouveaux défis

Pour la normalisation aussi, la concurrence mondiale, le changement climatique et le manque de personnel qualifié induisent des exigences nouvelles. Knut Blind qui, en tant que responsable du Panel allemand et européen de normalisation, analyse depuis de nombreuses années différents aspects de la normalisation, jette un regard sur les principaux champs d’action.

La normalisation est aujourd’hui confrontée à de nombreux défis, imputables à divers facteurs internes, mais aussi externes. En interne, la pénurie générale de personnel qualifié touche également la normalisation. Aujourd’hui, plus de 60 % de ses experts ont plus de 50 ans, ce qui signifie que plusieurs milliers d’entre eux partiront prochainement en retraite. Parallèlement, les femmes sont encore fortement sous-représentées, même si un léger renversement de tendance se fait déjà sentir depuis quelques années.

En externe, la normalisation fait face aux défis que génère une dynamique croissante de la science et de la technologie, mais aussi le numérique. Des sujets tels que l’intelligence artificielle, la technologie quantique ou encore l’économie circulaire, en particulier, nécessitent de nouveaux projets de normalisation et le soutien d’experts compétents, alors que ceux-ci se font de plus en plus rares, comme évoqué ci-dessus.

En même temps, le plus grand défi pour l’humanité est le changement climatique, un défi que la normalisation peut contribuer à maîtriser, même si, dans ce domaine, son potentiel1 n’est malheureusement pas encore totalement exploité.

Le cadre réglementaire et politique

En Allemagne et en Europe, la normalisation s’inscrit dans différentes initiatives politiques, et relève donc d’un cadre réglementaire. Les nombreuses activités de la Commission européenne visant à réglementer l’intelligence artificielle, la cybersécurité et la cyberrésilience, mais aussi l’économie des données, se traduisent par des défis supplémentaires pour la normalisation, qui doit en effet étayer les projets de loi par des normes appropriées, faute de quoi la Commission élaborera elle-même de plus en plus de spécifications, ce qui ne garantira pas nécessairement une participation adéquate de la part de l’industrie et des autres parties prenantes.

Parallèlement à cela, le modèle économique des organismes de normalisation est remis en question par un arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne dans l’affaire dite « Malamud », arrêt qui donne libre accès à un nombre – certes encore restreint – de normes harmonisées européennes auxquelles il est fait référence dans les réglementations européennes. Il est impossible pour l’instant d’évaluer l’impact que cet arrêt aura à long terme pour les organismes de normalisation basés en Europe, mais aussi pour la normalisation européenne dans son contexte international.

Et enfin, il faut aussi considérer la normalisation dans le contexte de tensions géopolitiques croissantes avec, d’un côté, la Chine qui continue de renforcer son engagement dans la normalisation internationale, et, de l’autre, l’influence croissante des entreprises technologiques américaines dans le domaine de la normalisation. Le cumul de ces facteurs constitue un défi, non seulement pour la normalisation, mais aussi pour la compétitivité et les valeurs de l’Europe.

De nouvelles initiatives sont nécessaires

Au total, la normalisation est confrontée à une multitude de défis majeurs, tant en Allemagne que dans le reste de l’Europe. Or, on a besoin de normes pour faire face à des enjeux de dimension mondiale, tels que la lutte contre le changement climatique, mais aussi la protection de la compétitivité et des valeurs européennes. Il faut donc lancer toute une série d’initiatives ou intensifier celles qui existent déjà.

La première chose à faire sera de consolider, de rajeunir et de diversifier continuellement le pool d’experts actifs dans le domaine de la normalisation. Cela implique notamment d’inciter davantage de femmes à rejoindre la normalisation afin de pallier la menace d’une diminution du pool de collaborateurs, en Allemagne et en Europe. Il faudrait pour cela aborder de manière plus explicite l’importance du sujet dans les universités, voire dans les établissements scolaires. Le projet européen EDU4Standards.eu doit, à cet égard, fournir une contribution importante. Il serait également judicieux de souligner, dans le contenu des cours, l’importance de la normalisation comme facteur contribuant à la maîtrise du changement climatique, mais aussi à la réalisation des autres objectifs de durabilité, incluant l’efficacité énergétique.

Il faut prendre en compte la dynamique de la recherche et du développement et ses implications pour la normalisation en élargissant non seulement les programmes nationaux de subvention des activités de normalisation, mais aussi les incitations fiscales en faveur de la R&D.

L’intégration croissante des normes dans des initiatives politiques européennes et l’aménagement du cadre réglementaire doivent être pris en compte à un stade précoce dans des processus de normalisation, mais aussi dans l’élaboration de réglementations, afin d’optimiser l’interaction et d’éviter les frictions. Les instituts de normalisation doivent poursuivre le développement stratégique de leurs modèles commerciaux afin d’être armés contre d’éventuelles conséquences de plus grande portée de l’arrêt Malamud de la Cour de justice de l’Union européenne. Ce dont on a besoin ici, ce sont non seulement de nouveaux produits et services, mais aussi des modèles tarifaires.

Et enfin, l’Europe ne peut relever les défis géopolitiques en matière de normalisation qu’en veillant à maintenir une forte présence d’experts européens. Des fonds sont pour cela déjà disponibles, tant par le biais de programmes nationaux, comme en Allemagne WIPANO, que de projets européens tels que StandICT et SEEBLOCKS. Parallèlement, des coalitions avec des États partageant les mêmes idées doivent être formées à un stade précoce, comme le prévoit le projet INSTAR de l’UE, qui vient d’être lancé.

Ce qu’il faut au total, c’est une démarche stratégique et donc axée sur le long terme, qui intègre des acteurs dont le domaine d’action va bien au-delà de la normalisation, comme par exemple des établissements d’enseignement et de recherche, mais aussi des régulateurs, et ce aux niveaux national, européen et international.

Prof. Dr. Knut Blind
Fraunhofer ISI & TU Berlin

knut.blind@isi.fraunhofer.de
knut.blind@tu-berlin.de

1Blind et al. (2022) : Deutsches Normungspanel: Indikatorenbericht 2022 - Normen, Normung und Klimawandel, www.normungspanel.de/publications/indikatorenbericht-2022