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Surveillance du marché – une idée européenne, une mise en œuvre nationale

Stefan Pemp a exercé pendant de nombreuses années les fonctions de chef de département et d’administration dans des inspections du travail publiques, puis, de 2001 à mai 2004, de chef d’unité pour la surveillance du marché de produits techniques au sein du ministère des Affaires sociales, du Travail, de la Santé et de l’Égalité de Basse-Saxe. Fort de son expérience du terrain de la surveillance du marché européen, il propose des pistes sur la manière dont elle pourrait être optimisée.

L’Union européenne est importante pour les États membres, car elle leur donne « une voix dans le monde ». Tant en termes de superficie et de population que de puissance économique, les chiffres montrent que, individuellement, les États n’ont pas suffisamment de poids sur la scène internationale. Mais l’aspect décisif n’est pas seulement le fait que l’UE existe, mais c’est qu’elle crée des conditions-cadres économiques, politiques et juridiques qui sont réellement praticables par les États membres.

Surveillance du marché : son objectif

La surveillance du marché européen a pour mission et pour objectif de permettre la libre circulation des marchandises dans toute l‘Europe sur un marché équitable. C’est aux autorités des États membres qu’est confiée la mise en œuvre de la surveillance du marché (Voir le Règlement (UE) sur la surveillance du marché 2019/1020). Initialement, le cadre juridique était pour cela constitué de directives européennes qui devaient être transposées dans le droit national des États membres. Or, le système repose maintenant sur un nombre croissant de règlements européens. Bien qu’étant directement applicables dans tous les États membres, ceux-ci nécessitent une législation nationale d’accompagnement pour leur mise en œuvre.

Le passage d’une législation basée sur des directives à une qui repose sur des règlements va de pair avec un désir de davantage d’uniformité et de clarté. Dans ce contexte, on voit parfois émerger l’idée d’une surveillance du marché centralisée au niveau européen. Elle présenterait des avantages, notamment une meilleure répartition des ressources, en particulier dans les domaines de haute technologie tels que l’intelligence artificielle, où il est difficile de recruter des spécialistes, mais aussi la réduction des doublons et une meilleure coordination, tant au plan national qu’européen.

La réalité européenne

Dans la réalité, le droit européen se heurte – tout au moins en Allemagne, mais probablement aussi dans d’autres pays de l’UE1 – à une culture juridique (administrative) solidement ancrée qui peut diverger fortement d’un État membre à l’autre. Il arrive que des expressions telles que « … enjoignent sans tarder à l‘opérateur économique concerné… » utilisées dans les règlements européens n’aient pas d’équivalent dans le droit administratif allemand, ce qui provoque des incertitudes pour les autorités de surveillance du marché. Que faut-il entendre par le terme « enjoindre » ? Une simple indication, ou bien un acte administratif ?

Le problème qui se pose ici réside à mon avis dans le fait qu’une traduction – aussi bonne soit-elle – ne correspond pas parfaitement aux applications du système juridique national. Or, c’était autrefois le plus souvent le cas lorsque la transposition des directives UE dans le droit national s’effectuait en s’ajustant aux spécificités du pays.

Lorsque des irrégularités portaient sur des obligations purement formelles, sans fondement matériel (p.ex. uniquement la simple absence de marquage CE), elles étaient généralement considérées, dans la tradition administrative allemande, comme étant insignifiantes. Ici aussi apparaît un problème lié aux différences d’interprétation du droit car il est possible que, dans le cadre de leur marge de manœuvre, les administrations nationales prennent des mesures plus ou moins strictes.

Si l’on admet la thèse de la grande disparité des traditions en termes de droit administratif en Europe, une surveillance (centralisée) du marché européen présenterait, certes, l’avantage d’une plus grande uniformité et efficacité, mais aussi un risque élevé de ne pas être acceptée, les opérateurs nationaux gardant en effet en tête leurs pratiques administratives respectives. Alors que les grandes entreprises devraient être en mesure de gérer les problèmes de compréhension juridique à l’aide de leurs équipes, les petites entreprises auront en revanche plutôt tendance à se résigner dans de tels cas. Tant la législation de l’UE qu’une autorité européenne centralisée pourraient être perçues comme lointaines et déconnectées de la réalité, et devenir dès lors la cible de critiques démagogiques.

L’objectif et la voie pour y parvenir

Sur cette toile de fond, il est à mon avis essentiel de mettre en avant les trois principes suivants :

  1. Mieux vaut créer des règles simples plutôt que d’expliquer des règles compliquées.
  2. Il faut se fixer des objectifs ambitieux et ne pas les abandonner lorsque surviennent des obstacles.
  3. Lorsqu’il s’agit de décider quel est le bon chemin à suivre et quel temps sera nécessaire pour réaliser les objectifs, les obstacles sont un élément décisif à prendre en compte.

D’après mon expérience pratique acquise durant plus de vingt ans d’activité dans le domaine prépolitique, les points 2 et 3 sont particulièrement importants. En se laissant bloquer lors de la poursuite d’un objectif, on n’est pas à la hauteur de la tâche à accomplir. Mais en voulant tout atteindre tout de suite, on risque de tout faire définitivement échouer.

Pour la surveillance du marché, parler une langue commune n’est pas le seul élément nécessaire. Dans la pratique, rien que la communication avec les autorités des autres pays s’avère déjà difficile en raison du manque de connaissances linguistiques. Mais ce qu’il faut, c’est surtout une vision commune de ce que l’on veut, et c’est vraiment là que les choses se compliquent. Pour qu’elle soit acceptée, cette vision doit être élaborée auprès des autorités et des acteurs du marché. Je vois ici un chemin nécessaire, certes, mais aussi long et semé d’embûches.

Pour poursuivre et réussir sur cette voie, on ne peut que souhaiter que l’UE continue à se fixer des objectifs ambitieux, non seulement en matière de surveillance du marché mais aussi en général, et qu’elle fournisse les ressources nécessaires et prenne le temps qu’il faudra.

Stefan Pemp
Ancien chef d’unité pour la surveillance du marché de produits techniques au sein du ministère des Affaires sociales, du Travail, de la Santé et de l’Égalité de Basse-Saxe

1 « La rédaction de ce volume a montré une fois de plus que les systèmes juridiques administratifs des États européens présentent encore des différences considérables, surtout au niveau de leur conception… »
Dans la préface de : Ius Publicum Europaeum Band V Verwaltungsrecht in Europa: Grundzüge, édité par A. von Bogdandy, S. Cassese, P.M. Huber, 2013 (en allemand)