KANBrief 1/15

TTIP : la reconnaissance mutuelle des normes – une piste possible ?

En Europe, l’harmonisation européenne des réglementations, normes et procédures d’évaluation de la conformité est un modèle qui a fait ses preuves. Pour les négociations sur le Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement (TTIP), nombreux sont ceux qui, en revanche, semblent tentés par une reconnaissance mutuelle, au lieu d’une harmonisation. Vue de plus près, cette approche s’avère toutefois problématique.

L’objectif défini dans le mandat de négociation de l’UE pour le TTIP est d’éliminer les barrières commerciales superflues, l’un des moyens d’y parvenir étant la reconnaissance mutuelle ou l’harmonisation. Aucune évaluation n’a toutefois été effectuée sur la question de savoir dans quels cas et dans quelles conditions une reconnaissance mutuelle était envisageable du point de vue de l’UE.

Dans le cadre d’un projet commun, la DGUV, la KAN et l’institution polonaise de prévention CIOP-PIB ont analysé l’impact que pourrait avoir une reconnaissance mutuelle des réglementations techniques, normes et procédures d’évaluation de la conformité dans le domaine des équipements de travail et des EPI1. Ils ont constaté que, dans ces domaines, les principes fondamentaux et la répartition des tâches entre les acteurs du marché concernés, présentent des différences telles entre l’Europe et les USA qu’une reconnaissance mutuelle peut engendrer des phénomènes dangereux.

Ceci n’est pas dû au fait que les exigences de sécurité et de santé sont moins strictes aux USA, mais bien à des philosophies divergentes quant à la législation, à la sécurité et à la normalisation, ainsi qu’au poids différent des normes de produits dans ce contexte. Les approches se différencient fondamentalement à bien des égards, notamment pour ce qui est de la hiérarchie des mesures de protection et de l’absence de contradictions dans la collection normative, deux aspects qui caractérisent la normalisation de l’UE.

Des niveaux de protection guère comparables

Du fait de cette différence d’approche, il est extrêmement difficile de comparer le niveau de protection de l’UE et des USA. Mais, même si ce niveau était équivalent, une reconnaissance mutuelle de normes ou de procédures d’évaluation de la conformité peut engendrer des risques, comme l’illustrent les exemples suivants :

  • Vêtements de protection pour pompiers : alors qu’aux USA les pompiers sont généralement affectés à une seule mission bien spécifique (p.ex. la lutte contre l’incendie ou le sauvetage), les pompiers en Allemagne et dans d’autres pays européens doivent pouvoir effectuer tous les types de mission – les vêtements de protection étant alors optimisés pour les interventions spécifiques. Or, on ne peut pas combiner les vêtements à usage universel et ceux destinés à des interventions spécifiques. Une reconnaissance mutuelle pourrait se traduire, des deux côtés de l’Atlantique, par l’utilisation de vêtements de protection respectivement moins appropriés.
     
  • Avant de pouvoir être mis sur le marché dans l’UE, les masques de protection respiratoire, étant des EPI destinés à sauver des vies, doivent être contrôlés par un organisme notifié. L’un des éléments de ces contrôles est l’étanchéité du masque. L’utilisateur se fie au fait que ce contrôle par un organisme tiers a été effectué avec succès. Aux USA, en revanche, au lieu d’un contrôle par un organisme tiers, l’utilisateur est tenu, conformément aux réglementations sur la prévention, de vérifier lui-même, avant de les utiliser, que les masques sont étanches. Ces deux démarches peuvent, certes, déboucher sur le même résultat : l’utilisation sûre des masques. Mais si des masques en provenance des USA étaient mis sur le marché de l’UE sans que l’utilisateur soit conscient de l’absence de contrôle par un organisme tiers, ceci pourrait avoir des conséquences mortelles.

La Fédération de l’Industrie allemande (BDI) souligne qu’une reconnaissance mutuelle implique nécessairement des examens et accords complexes, ainsi qu’un niveau de protection comparable des deux côtés de l’Atlantique. Or, elle constate que, pour cela, les réglementations, notamment pour la construction mécanique, sont encore trop différentes aujourd’hui2. L’objectif primordial doit donc être en l’occurrence d’améliorer la compatibilité des systèmes.

Si, du fait de la reconnaissance mutuelle, les normes des organismes américains de normalisation étaient tout aussi valables que les normes européennes, cela marquerait la fin d’une collection normative européenne exempte de contradictions, dans laquelle il n’existe qu’une seule norme pour chaque objet normalisé, et en vertu de laquelle les normes nationales contraires doivent être retirées. La Nouvelle Approche, qui a contribué de manière essentielle au Marché intérieur européen des marchandises et constitue le fondement des produits sûrs au sein de l’UE, serait ainsi remise fondamentalement en question.

Rüdiger Reitz
ruediger.reitz@dguv.de

1 Technical regulations, standards and conformity assessment methods within the TTIP: The issue of mutual recognition, Novembre 2014.
www.dguv.de/webcode/e981842
2 Prise de position sur la présentation publique du TTIP (en allemand) septembre 2014; p. 1-2