KANBrief 2/21
L’état de l’art constitue un élément central pour la sécurité des produits. Ce terme est toutefois souvent interprété différemment par les divers acteurs – notamment au niveau européen – ou bien est utilisé dans une définition légèrement divergente. Pour le travail de normalisation, la question qui se pose est de savoir sur quel niveau technique doivent s’orienter les exigences des normes1.
En Allemagne, depuis la décision Kalkar de la Cour constitutionnelle fédérale (BVerfG) du 8/8/1978 sur le droit nucléaire, il existe pour l’état de l’art un modèle de classification à trois niveaux largement accepté :
Selon les règles de la normalisation internationale (Directives ISO/CEI, Partie 2), européenne (Règlement intérieur CEN/CENELEC, Partie 3, article 4) et allemande (DIN 820-2), l’objectif des documents de normalisation est d’établir des dispositions claires et non ambigües qui facilitent la communication et les échanges internationaux. Pour atteindre ce but, les documents doivent, entre autres :
L’importance particulière de l’état de l’art est mise en évidence par la nécessité de réviser une norme quand une nouvelle technologie est suffisamment stable et présente sur le marché pour être considérée comme l’état de l’art (Guide ISO 78, article 5.2 ; Guide CEN 414, 5.2). Les règles de la normalisation allemande (DIN 820-4, article 7) sont encore plus claires : « Si une norme n’est plus conforme à l’état de l’art, … son contenu doit être révisé. »
Les normes DIN « reflètent l’état des règles de la technique reconnues et applicables aux cercles concernés, et conviennent ainsi particulièrement pour déterminer ce qui, selon l’opinion généralement admise, est requis en matière de sécurité. » (Cour fédérale de justice (BGH) 1/3/1988). Les tribunaux allemands soulignent toutefois clairement le dynamisme inhérent à la normalisation. Les normes « n’ont pas, par le fait même de leur existence, la qualité de règles reconnues de la technique, et ne peuvent prétendre à un statut d’exclusivité. » (BVerwG 30/9/1996). « Les normes DIN peuvent refléter les règles reconnues de la technique, mais aussi être en retard par rapport à ces règles. » (BGH, jugement du 14/5/1998 – réf. VII ZR 184/97).
Dans son jugement du 10/3/1987, le BHG attire l’attention sur un autre fait important : « Les normes ne sont pas une législation, elles ne constituent donc pas des règles de droit. […] Il n’est expressément pas exclu de porter un regard critique sur leur application par rapport à l’état atteint par la technique. Cela est particulièrement vrai quand il s’agit d’une norme sur le point d’être introduite, ou qui vient d’être introduite, et qui doit encore faire ses preuves en tant que ‘règle reconnue de la technique’. »2
Dans le droit sur la sécurité des produits, l’état de l’art est une notion juridique abstraite. Selon la directive européenne sur la sécurité des produits, un produit est considéré comme sûr pour les consommateurs quand il est conforme aux dispositions légales d’un État membre, aux normes européennes harmonisées, à d’autres normes, à l’état actuel des connaissances et de la technique3, ou à la sécurité à laquelle on peut raisonnablement s’attendre. La loi allemande sur la sécurité des produits stipule à l’article 34 (1), que la conception des installations nécessitant une surveillance doit être conforme à l’état de la technique.
Même si l’état de l’art n’est pas défini dans les bases juridiques européennes pertinentes, ce terme joue un rôle important, par exemple dans les directives européennes basées sur la Nouvelle Approche4, qui réglementent aussi le marquage CE. Au paragraphe 9.2 de l’Annexe IX de la directive Machines de l’UE, il est ainsi stipulé que, pour les machines soumises à l’examen de type, il appartient au fabricant de veiller à ce que lesdites machines soient conformes à l’état de la technique. Dans les considérants 6 et 14 de la directive, il est également souligné que l’état de la technique doit être pris en compte dans la normalisation.
Le guide de la Commission européenne relatif à la mise en œuvre de la réglementation de l’UE sur les produits (Guide bleu) stipule que, en l’absence de normes, le fabricant doit « élaborer des solutions conformément aux connaissances techniques ou scientifiques générales » afin de satisfaire aux exigences essentielles de la législation (Guide bleu 2016, 4.1.2.2). Un rôle particulier revient aux normes européennes harmonisées, qui sont présumées refléter « l’état de l’art généralement reconnu », faute de quoi il conviendrait d’en retirer la présomption de conformité (Guide bleu 2016, 4.1.2.5).
À son article 161, le Guide pour l’application de la directive Machines 2006/42/CE est très clair quant à la mise en œuvre attendue : les solutions techniques adoptées pour répondre aux exigences essentielles de sécurité et de santé correspondent à l’état de la technique si :
Les fabricants doivent donc tenir compte du progrès technique et mettre en œuvre les solutions les plus efficaces adaptées à la machine en question dès qu’elles sont disponibles à un coût raisonnable.
La normalisation constitue un élément essentiel pour la concrétisation de la notion juridique à première vue abstraite qu’est l’état de l’art. Dans cette assertion, la position de la normalisation elle-même, celle du législateur et celle des tribunaux se rejoignent essentiellement.
Une différence d’approche dans l’évaluation du concept provient du fait que la normalisation et la législation formulent un objectif qui doit être mis en œuvre par le travail des comités de normalisation. La jurisprudence, en revanche, considère surtout l’effet juridique qu’a sur des tiers la norme achevée. Or, par la nature même des choses, celle-ci évolue de manière dynamique dès le jour de sa publication, l’état de l’art continuant en effet de progresser indépendamment de la norme.
Ainsi, pour que le travail de normalisation réponde pleinement aux attentes qu’il suscite, une norme doit – au moins au moment de sa publication – être conforme à l’état de l’art. Les personnes qui travaillent au sein des comités de normalisation doivent être conscientes de leur responsabilité et rechercher activement des solutions techniques répondant aux exigences élevées des réglementations et du législateur. En cas de décisions contestées, elles ne peuvent pas se rabattre uniquement sur le plus petit dénominateur commun – généralement beaucoup plus facile à déterminer. La règle du « moins, c’est plus » n’est ici absolument pas applicable !
Michael Robert
robert@kan.de
1 Cet article ne doit pas être considéré comme étant une expertise juridique. Les références aux décisions de justice sont tirées d’une expertise de la KAN réalisée en 2016 par le Dr Thomas Wilrich sur la jurisprudence concernant les normes techniques. www.kan.de/fr/publikationen/etudes-kan
2 Le caractère juridiquement non contraignant des normes ne s’applique toutefois pas partout. Il existe en effet des exceptions, par exemple dans le droit européen de la construction ou par des renvois légaux directs aux normes.
3 Dans la version anglaise, on parle ici de ‘state of the art and technology’, ce qui correspondrait donc plutôt à la formule utilisée dans la loi allemande sur la sécurité des produits.
4 Selon la Nouvelle Approche, les règlements et directives de l’UE définissent des exigences fondamentales dans le domaine de la sécurité des produits. Ces exigences sont concrétisées dans les normes européennes.